L’histoire

17 juin 1885. L’Isère, une frégate de la Marine nationale française, fait son entrée dans la baie de New York avec, à son bord, un précieux chargement : la Statue de la Liberté.

Beaucoup l’ignore, mais cet événement, célébrant les relations d’amitié franco-américaines, aurait bien pu ne jamais voir le jour.
Pour mieux comprendre, nous vous invitons à vous replonger plus d’un siècle en arrière, au cœur d’une grande épopée historique et passionnante : celle de la Liberté.

Notre histoire commence sous le second Empire de Napoléon III, en 1865. 

Edouard de Laboulaye, un homme politique français républicain libéral, organise l’une de ses traditionnelles soirées dans sa propriété de Glatigny, réunissant ses fidèles amis. Fervent admirateur et défenseur du modèle institutionnel américain, il émet alors l’idée d’offrir aux États-Unis un “monument” exceptionnel, à l’occasion du centenaire de l’indépendance.

Présent à la fête, Frédéric Auguste Bartholdi, jeune sculpteur alsacien de trente ans, comprend immédiatement que ce présent devra prendre la forme d’une statue. Une œuvre mémorable et remarquable, tant par les valeurs morales qu’elle incarne que par ses proportions matérielles…

Dès 1870, l’artiste réalise ses premières maquettes, et décide de nommer sa statue “La Liberté éclairant le Monde”. A l’été 1871, il part pour l’Amérique, dont il reviendra porteur d’une conviction qui ne le quittera plus : son œuvre trouvera sa place dans la Baie de New York, sur Bedloe’s Island. Il écrira d’ailleurs à son ami Edouard de Laboulaye : “si j’ai senti cet esprit ici, c’est sûrement ici que ma statue doit être érigée, ici où les hommes ont le premier aspect du Nouveau Monde, ici où la liberté jette son rayonnement sur les deux mondes…”

Hélas, la guerre franco-prussienne et la chute du second Empire compromettent le bon déroulement du projet. Vaincue, la France panse ses plaies et relève ses ruines. Il n’est pas envisageable d’impliquer le pays dans le financement du somptueux cadeau destiné au peuple américain. La construction de la statue devra attendre. 

Si l’œuvre ne sera jamais prête pour le centenaire de l’indépendance, la volonté de renforcer les liens franco-américains reste intacte. La Statue sera livrée aux États-Unis, peu importe le temps que sa construction prendra. 

Bartholdi décide d’ériger son œuvre en cuivre, un matériau suffisamment léger pour ne pas écraser l’armature qui la soutient, et suffisamment résistant pour traverser les décennies. La réalisation de la structure destinée à soutenir la statue est confiée à Gustave Eiffel. Ce dernier imagine alors une grande ossature métallique, sur laquelle reposeront les plus de trois cents pièces de cuivre composant Lady Liberty. 

En 1876, à force d’un travail acharné, la main et la torche de la statue sont présentées aux américains lors de l’exposition du Centenaire de Philadelphie. C’est à partir de ce moment-là que l’on commence réellement à parler du projet en Amérique.

 

 

 

 

 

Fin mai 1884 : la statue est enfin achevée, après huit années d’un chantier titanesque. Près de 200 tonnes de cuivre et d’acier s’élèvent à 46 mètres au-dessus des toits de la fonderie Gaget-Gauthier, l’un des plus grands ateliers de Paris, situé 25 rue de Chazelle. La statue devient désormais la coqueluche de Paris, et voit défiler un important flot de visiteurs.

Une question subsiste néanmoins : à présent achevée, l’œuvre de Bartholdi va-t-elle pouvoir être accueillie aux Etats-Unis ?

En effet, outre-Atlantique, la construction du socle a été interrompue, faute de financement de la part des américains… Bartholdi décide tout de même d’y envoyer sa statue. Une fois sur place, ces derniers seront bien contraints de trouver une solution !

En France, dix ans après l’idée d’Édouard de Laboulaye, le financement du projet stagne. 

Au cours de l’été 1875, ce dernier mobilise des personnalités françaises et américaines au sein d’un comité de soutien pour la construction de la statue : l’Union Franco-Américaine. Dans le but de récolter les financements nécessaires à l’achèvement de l’œuvre de Bartholdi, une vaste campagne de communication est lancée : exposition de pièces détachées de la statue avec visite payante, vente d’objets souvenirs, expositions de photos, loteries… 

Même scénario outre l’Atlantique, où les fonds pour la réalisation du socle manquent. Alors que la construction de la statue s’achève à Paris, Joseph Pulitzer, patron et journaliste du quotidien “The World”, décide d’intervenir. Dans les pages de son journal, il en appelle à la fierté nationale et à la disgrâce de ne pouvoir recevoir le cadeau des Français. Contre toute attente, les Américains se mobilisent et l’argent commence à affluer. A l’été 1884, les fonds nécessaires à la construction du socle sont débloqués et les travaux reprennent, sous la supervision de l’ingénieur Charles Pomeroy Stone et de l’architecte Richard Morris Hunt. Du haut de ses 47 mètres, le bâtiment incarne l’une des pièces de maçonnerie les plus importantes au monde. Deux années auront été nécessaires à sa construction.

Près de 120 000 citoyens français et 160 000 citoyens américains ont permis de réunir la somme nécessaire à l’achèvement de la statue et de son socle.

Beaucoup l’ignore, mais l’histoire de la Liberté est tout simplement le premier financement collaboratif de l’histoire (crowdfunding), ayant réuni deux peuples de chaque côté de l’Atlantique autour d’un projet commun.

La statue est démontée et répartie dans 214 caisses en bois, acheminées jusqu’à la gare où un train spécial de 70 wagons les attend. A Rouen, la précieuse cargaison est embarquée à bord de l’Isère, une frégate offerte par le gouvernement français. 

Dédiée au transport de marchandises, le trois-mâts a assuré, pendant une vingtaine d’années, des missions de transport et de soutien pour le compte de la Marine Nationale sur toutes les mers du monde. Alliant la propulsion à la voile et à la vapeur, le bâtiment se révèle particulièrement avant-gardiste pour l’époque.

Au bout de vingt-cinq jours de mer, et après avoir repoussé les assauts d’une violente tempête au large des Açores, l’Isère, accueillie par une flotte de bâtiments de toute espèce, mouille à Bedloe’s Island, le 17 juin 1885.

  1. On frappe le dernier rivet, dans la semelle droite de la statue. L’œuvre de Bartholdi est inaugurée le 28 octobre 1886, sous les acclamations de plus d’un million de New Yorkais.

Le monde regorge d’innombrables histoires. 

Celle de la Statue de la Liberté a été forgée par le temps et a traversé les âges, comme en témoigne la couleur de sa robe qui, d’une teinte rouge cuivre, a migré en une patine vert bleuté. Née de l’idée d’un homme épris de liberté, cette incroyable épopée historique n’aurait pu voir le jour sans le génie de l’un des plus grands sculpteurs de sa génération. Son histoire est celle d’une détermination sans faille, mêlant des valeurs de courage, de résilience, d’excellence et d’audace :

“Ces difficultés ont été grandes parfois, je le reconnais. Longtemps, des esprits malicieux et critiques ont cru que notre entreprise était, comme on dit aux États-Unis, un éléphant, un de ces fardeaux dont on ne sait comment se débarrasser. Rares sont ceux qui ont vraiment compris que notre statue colossale était plus grande par sa valeur morale que par ses proportions matérielles”

 

Frédéric Auguste Bartholdi

Enfin, “la Liberté éclairant le monde” est l’héritage d’un long voyage, ayant contribué à sceller durablement les liens d’amitié entre deux nations, de chaque bord de l’Océan Atlantique.

En un mot, “Lady Liberty” représente l’espoir. 

Au XXe siècle, elle a été la première vision de millions d’émigrés lors de leur entrée sur le territoire américain, symbolisant ainsi la récompense d’un long voyage, et l’aboutissement d’un rêve de liberté tant recherché. C’est ainsi que, de franco-américaine, la Grande Dame est devenue universelle.

L’Isère, quant à lui, a érigé un pont entre les cultures, invitant au voyage et au dépassement de soi. Contre vents et marées, ce trois mâts a bravé les éléments pour délivrer son précieux présent au peuple américain. Coulée devant Locmiquélic, la frégate côtoie le monde du silence depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans son tourbillon, son épave emporte un bout d’histoire prestigieuse…

Et si l’Isère resurgissait des profondeurs de l’Océan… ?